Les matières plastiques face à l’inévitable dilemme environnemental

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Matériaux d’utilité publique pour certains, éléments polluants à bannir absolument pour d’autres. C’est ainsi que pourrait se résumer, aujourd’hui, la vision – Ô combien contrastée – de notre société à l’égard des matières plastiques. Avec la prise de conscience collective du réchauffement climatique et de la pollution des écosystèmes, de nombreuses voix se sont élevées pour interdire l’usage des plastiques dans notre quotidien. Mais est-ce réellement une bonne option ? Est-ce que le bannissement ne va pas induire des effets environnementaux encore plus délétères ? Quelles sont les options d’améliorations revendiquées qui pourraient être envisagées par le secteur de la plasturgie ? Décryptons ensemble le « dilemme des plastiques » ou comment concilier les bénéfices indispensables avec la nécessité de réduire les impacts environnementaux du secteur. 

Les matières plastiques ont métamorphosé nos sociétés modernes. Elles ont ouvert le champ des possibles dans les domaines de la mobilité, de la construction, des loisirs, de l’énergie et de la santé. Elles ont amélioré notre confort et répondu à de nombreuses attentes, des plus superficielles aux plus essentielles. Cependant, année après année, les matières plastiques mal gérées se sont accumulées dans l’environnement sous la forme de déchets persistants induisant un cataclysme écologique.

Il est donc fort compréhensible que le grand public soit imprégné d’une résonance émotionnelle négative à l’évocation du mot « plastique ». Qui n’a jamais été exaspéré de voir, au détour d’une promenade, des déchets plastiques abandonnés dans la nature ? Qui n’a jamais été ému du sort des phoques errant sur une plage jonchée de débris plastiques ou de cette tortue nageant dans l’océan au milieu de sacs plastiques ? Qui ne s’est jamais inquiété des effets toxiques des minuscules fragments de plastiques retrouvés dans nos sols, dans nos eaux, et même dans l’air que nous respirons ? Ces préoccupations, bien légitimes, sont corroborées par les scientifiques qui démontrent sans équivoque les effets dévastateurs des déchets plastiques sur les écosystèmes. Mais la pollution plastique ne représente qu’une partie du problème. En effet, la plupart des plastiques actuels sont produits à partir de ressources fossiles et de sources d’énergie épuisables, et chaque étape du cycle de vie des plastiques – de l’extraction du carbone fossile aux phases de production, en allant jusqu’au recyclage éventuel des matières plastiques en fin de vie – émet des gaz à effet de serre qui participent au réchauffement climatique.

Il est donc permis de croire que bannir les matières plastiques de notre quotidien ou qu’interdire complément leur production industrielle seraient des actions fortes pour freiner ces grands périls environnementaux. Il est logique de penser qu’éliminer les pailles en plastique de nos boissons ou que remplacer systématiquement le plastique par du papier, du verre ou du coton permettraient de sauver notre planète. Pourtant, si ces propositions, souvent dictées par des réactions instinctives aux effets visibles des plastiques, sont louables, elles s’avèrent peu convaincantes face aux données scientifiques qui révèlent une réalité bien plus contrastée et complexe.

De nombreuses études, appuyées par des analyses de cycle de vie, révèlent ainsi que la substitution du plastique par des matériaux jugés plus traditionnels est parfois malavisée. Ainsi, des sacs de supermarché en papier ont un bilan carbone nettement plus élevé, de presque 80%, que celui de leurs homologues en plastique. De même, troquer les bouteilles en plastique par des alternatives en verre ou en métal entraîne des émissions de dioxyde de carbone dans l’atmosphère de 15 à 50% supérieures. Remplacer les couverts en plastique de nos repas par des ustensiles en bois, changer les fibres synthétiques de nos textiles d’intérieur par de la laine, ou même échanger les canalisations en plastique de nos maisons par des tuyaux métalliques sont tout autant de décisions trompeuses. Les études sont d’ailleurs formelles : un matériau ne devient pas nécessairement plus durable parce qu’il paraît plus naturel.

Alors que faire ? Adopter une sobriété dans nos utilisations des matières plastiques et évaluer chaque situation de manière individuelle sont deux options prioritaires. Prendre des décisions au niveau mondial, et pas à la seule échelle d’une région ou d’un petit territoire, est également préférée. Par contre, décider d’éliminer systématiquement les matières plastiques sans discernement peut traduire une tendance à généraliser, ce qui conduirait à négliger la diversité des fonctions essentielles que ces matériaux remplissent dans notre société contemporaine. Cette approche de suppression, trop simpliste, risquerait également de sous-estimer les opportunités d’innovation visant à rendre l’utilisation des plastiques plus respectueuse de l’environnement, tout en ignorant les domaines où des alternatives viables demeurent limitées.

Pour s’en convaincre, réfléchissons au domaine de la santé. Par quoi pourrions-nous remplacer les matériaux plastiques utilisés dans les masques chirurgicaux, les gants, les seringues, les poches de transfusion et les fils de suture ? Quelles alternatives avons-nous pour la fabrication des lentilles de contact, des implants dentaires ou même des valves cardiaques ? Les matériaux plastiques sont primordiaux en médecine parce qu’ils peuvent être stériles, biocompatibles, biorésorbables ou antibactériens. Ils sont tellement performants, sophistiqués et innovants, fruits d’efforts de recherche continus, qu’ils peuvent maintenant réparer des organes défaillants, des tissus endommagés, des os brisés et protéger les peaux brûlées.

Que dire également du secteur de l’eau et des énergies renouvelables ? Grâce à leur coût abordable et leurs performances uniques, dont une excellente résistance à la corrosion, les matériaux plastiques jouent un rôle décisif dans le traitement et la distribution de l’eau, ainsi que dans l’irrigation des terres agricoles. Ils permettent la conception de bâches anti-évaporation, de tuyaux, de réservoirs, mais aussi de membranes de désalinisation des eaux de mer, participant à l’accès à l’eau potable dans les contrées arides. Parce qu’ils sont robustes et sûrs, isolants ou conducteurs d’électricité ou de chaleur, les plastiques sont également indispensables dans le secteur de l’énergie. Ils sont les composants des panneaux photovoltaïques, des éoliennes, des électrolyseurs pour la production d’hydrogène vert, des câbles de transport de l’électricité, des pompes à chaleur ou des isolants pour nos bâtiments.

Nous pourrions ainsi être émerveillés par le pouvoir qu’ont eu les plastiques à façonner notre monde moderne. Nous pourrions être tout aussi convaincus que ces matières vont avoir une place dans nos stratégies d’atténuation ou d’adaptation aux effets du réchauffement climatique. Mais nous restons hautement concernés par les effets délétères sur l’environnement que les plastiques ont provoqués. De ces deux aspects si contrastés naît donc un fameux dilemme : devons-nous continuer à utiliser les matières plastiques pour leurs avantages indéniables, au risque de perpétuer leurs impacts néfastes sur l’environnement, ou devons-nous renoncer à leurs bénéfices pour protéger notre planète ?

Beaucoup sont convaincus que nous devons dire adieu aux matières plastiques. De nombreuses voix appellent à leur retrait dans le conditionnement de nos aliments et de nos boissons, ainsi que dans l’agriculture, la construction, et la fabrication de jouets, de voitures, de meubles et de textiles. Cependant, il est clair que nous ne pourrons pas abandonner ces matériaux dans un futur proche. En effet, d’une part, il manque d’alternatives fiables, et d’autre part, la plupart des substituts s’avèrent parfois encore plus problématiques. Qui pourrait donc imaginer qu’en supprimant les plastiques de nos emballages alimentaires, les pertes alimentaires augmenteraient au point de dépasser les émissions de gaz à effet de serre de la chaîne de valeur des plastiques? Qui pourrait penser qu’en éliminant le plastique des voitures et en le remplaçant par de l’acier, les véhicules seraient moins sûrs, consommeraient bien plus et perturberaient encore d’avantage la qualité de notre atmosphère ? Restons cependant lucides. Dès maintenant, la sobriété dans notre utilisation des plastiques doit devenir la norme. Il est crucial de refuser le suremballage inutile, qu’il soit justifié par des raisons esthétiques ou commerciales. Nous devons également éliminer les usages superflus, les matériaux qui se dégradent plus vite qu’ils ne sont utilisés, et les plastiques à usage trop éphémère.

Le dilemme des plastiques est donc complexe à aborder car il mêle les faits et les émotions, les données scientifiques et les convictions personnelles. Résoudre ce dilemme passera donc obligatoirement par une démarche de pédagogie et de sensibilisation – cruciale quand on sait que le grand public se nourrit encore trop souvent d’informations sur les plastiques par le biais des réseaux sociaux. Solutionner ce problème sociétal demandera surtout un profond changement de paradigme et passera par une refonte technique de l’ensemble du cycle de vie des plastiques. Pour venir à bout de ce défi d’ampleur, et continuer à satisfaire non besoins essentiels sans entraver la qualité des écosystèmes, il sera donc nécessaire d’impliquer tous les acteurs de la société, des citoyens aux acteurs de la recherche, en passant par les acteurs industriels et du monde socio-politique.

Miser sur le recyclage des déchets plastiques en fin de vie pourrait constituer une piste prometteuse pour une gestion durable de ces matériaux. En effet, le recyclage permettrait non seulement de traiter les plastiques en fin de vie, mais aussi de réintégrer le carbone qu’ils contiennent dans des cycles de production ultérieurs. De nombreux acteurs publics soutiennent pleinement cette approche, bien que les scientifiques en soulignent déjà les limites. Actuellement, le recyclage est efficace uniquement pour quelques types de plastiques, souvent les plus simples. De plus, il consomme énormément d’énergie, détériore la qualité du plastique et entraîne des pertes matérielles. Par conséquent, le recyclage n’est pas, du moins pour l’instant, la solution miracle. Cela s’explique en partie par le fait que les plastiques que nous utilisons depuis des décennies n’ont jamais été conçus pour être recyclés.

Pour aller plus loin, il serait donc stratégique de concevoir des matières plastiques et des produits finis ayant une meilleure aptitude au recyclage, au désassemblage ou à la dégradation spontanée et inoffensive en milieu naturel. Cette approche doit être plus largement soutenue financièrement pour permettre aux chercheurs de développer de nouveaux matériaux plus durables mais tout aussi performants. En s’inspirant de la nature, notamment des plantes, des algues ou des insectes, les chercheurs peuvent concevoir des matériaux bio-inspirés et potentiellement biodégradables. Ils peuvent aussi synthétiser de nouveaux matériaux moins nocifs, moins propices à générer des microplastiques, et intégrant des additifs plus responsables. Les plastiques de notre futur pourraient aussi se découvrir d’autres rôles que ceux qu’ils desservent depuis des décennies. Ils pourraient devenir actifs et intelligents, protégeant encore plus nos aliments et indiquant aux consommateurs des contaminations par des bactéries ou des virus. Ils pourraient se transformer en éléments de stockage des énergies renouvelables sur le réseau. Dans le bâtiment, ils deviendraient des composants des fenêtres solaires qui génèrent de l’électricité à partir des rayons du soleil. Ils seraient aussi les matériaux-clés pour reconstruire, par impression 3D, des organes malades.

Tandis que la recherche se concentre souvent sur les phases d’utilisation et de gestion en fin de vie des plastiques, considérées comme les plus problématiques pour l’environnement et la santé humaine, il ne faut pas oublier que la phase de production reste l’étape la plus critique, avec de larges impacts environnementaux, sanitaires et socio-économiques. La production mondiale de plastiques, déjà proche de 400 millions de tonnes par an, pourrait dépasser le milliard de tonnes d’ici 2050. Si aucune action n’est entreprise, les émissions de gaz à effet de serre du secteur représenteront plus de 15 % du budget carbone mondial en 2050. Plus de 90 % des émissions de gaz à effet de serre associées aux plastiques, principalement du dioxyde de carbone et du méthane, proviennent de l’extraction des matières premières d’origine fossile (pétrole, charbon et gaz) et des processus de production. Il est aussi important de mentionner que la hausse des émissions de gaz à effet de serre, enregistrée ces dix dernières années et projetée pour 2050 , résulte aussi de la mise en service de grands sites de production dans des pays fortement dépendants du charbon, dont la Chine.

Adopter des méthodes agressives de capture des émissions de dioxyde de carbone sur les sites de production pourrait permettre une réduction significative de ces émissions gazeuses. Intégrer davantage d’énergies renouvelables dans les phases de production et prévoir des synthèses plus vertes, dans des conditions plus douces, pourraient également contribuer à atténuer le problème. En appliquant ces stratégies de production plus vertueuses, en misant sur des options innovantes de recyclage, notamment le recyclage chimique, et en gérant la demande, il serait possible de maintenir les émissions du secteur en 2050 à un niveau comparable à celui que nous connaissons aujourd’hui. Par ailleurs, en intégrant la biomasse et le carbone issu du recyclage dans des approches circulaires, les émissions pourraient encore être réduites, atteignant une diminution absolue par rapport aux niveaux actuels.

Les scientifiques affirment aujourd’hui que résoudre la crise des plastiques ne passera pas par une interdiction totale de ces matériaux, car ils demeurent indispensables dans certains secteurs où ils garantissent sécurité et efficacité. Cependant, il est impératif de mettre l’accent sur le verdissement de leur production, une dimension longtemps négligée au profit de la gestion en fin de vie. En d’autres termes, il est crucial d’intervenir avec la même détermination à chaque étape de la chaîne de valeur, en incluant la priorisation des applications et la sensibilisation. Négliger cette approche serait courir le risque de fragiliser nos industries, mais également et de manière paradoxale, notre environnement lui-même.

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