Les PFAS : avantages éphémères et soucis éternels ?

image_pdfimage_print

Au cœur d’un tourbillon médiatique en Belgique depuis novembre 2023, les obscures molécules appelées PFSA ont déclenché un véritable scandale « politico-sanitaire ». Des analyses de laboratoire, menées de Bruxelles à la province de Hainaut, viennent en effet de mettre en évidence des concentrations de PFAS dans les eaux de distribution « largement supérieures à la normale ».  En peu de temps, des molécules – connues seulement sous une abréviation de quatre lettres –  sont ainsi devenues synonymes de préoccupation et hantent maintenant les esprits de la classe politique, mais surtout des citoyens. 

Mais finalement, que sont réellement ces PFAS ? S’agit-il de molécules de synthèse échappées des produits de notre quotidien ou proviennent-elles de rejets des grandes industries chimiques? Est-ce que ces molécules contaminent uniquement l’eau que nous buvons ou sont-elles aussi détectées dans l’air que nous respirons, voire même dans nos assiettes ? Pourra-t-on un jour se débarrasser de ces fameux « polluants éternels » ?

Je vous invite, aujourd’hui, à décrypter ce sujet d’actualité et à percer le mystère qui entoure ces composés de la manière la plus simple possible.

Note préliminaire :

Je tiens tout particulièrement à remercier le Forever Pollution Project et le journal Le Monde, de même que le PFAS Project Lab (Northeastern University, Boston) pour m’avoir permis de reproduire librement les cartes intégrées dans les Figures 1a et 1b de cet article. Je remercie également l’ACS (American Chemical Society) pour l’autorisation de reproduction libre de la Figure 2.

Ce texte n’a pas pour ambition d’offrir une analyse exhaustive sur les PFAS. Il a plutôt pour vocation de résumer de manière simple et accessible pour tous ce qui est entendu sous le vocable de PFAS, de même que sur leurs impacts sanitaires et environnementaux. La rédaction de cet article a été basée sur des articles de la littérature scientifique. Les sites commerciaux, d’industries manufacturières, et les prises de position politiques ont volontairement été soustraits de la recherche.

Préambule

Virginie-Occidentale, États-Unis, 1999. Wilbur Tennant, un agriculteur, assiste impuissant au déclin de son cheptel. La santé de ses vaches se dégrade de manière alarmante. Il voit apparaître des tumeurs, des dents noircies et des malformations chez les nouveau-nés. En quelques mois seulement, Tennant perd plus d’une centaine de bovins dans des conditions atroces. Sa conviction est ferme : c’est l’eau, bue par ses bêtes, qui est responsable du carnage qui frappe son troupeau.

Pendant des mois, les animaux de Tennant se sont désaltérés avec l’eau provenant d’un ruisseau situé en aval d’une décharge. C’est dans cette décharge que la société chimique DuPont déversait, à la fin des années 80, des milliers de tonnes de boues renfermant un composé synthétique – utilisé dans la production du Téflon® – appartenant à la famille des PFAS. DuPont était bien au courant de la présence exceptionnellement élevée de ce composé dans l’eau du ruisseau et des risques toxiques que cette molécule représentait pour la santé, tant humaine qu’animale. Pourtant, la société a préféré dissimuler la vérité, accusant plutôt Tennant de négligence dans les soins prodigués à son bétail. Ce que DuPont ignorait, par contre, c’est que Wilbur Tennant n’était pas homme à se laisser faire.

C’est à ce moment-là qu’un procès médiatique captivant, aux multiples rebondissements, s’engage. Les experts scientifiques vont se succéder à la barre et mettre en lumière la toxicité prouvée des PFAS, des composés chimiques fabriqués à l’échelle mondiale depuis les années 30. [1] C’est aussi à ce moment-là que le grand public va prendre conscience de la présence insidieuse de ces « polluants éternels » dans l’eau qu’il consomme quotidiennement. Les PFAS, substances reconnues comme cancérigènes pour l’Homme et les animaux, se révèlent être un défi que la nature peine à surmonter.

Après le verdict établissant la responsabilité de DuPont, une surveillance rigoureuse des PFAS sera mise en place de manière continue. Cette vigilance croissante donnera lieu à l’élaboration de cartes détaillées localisant précisément les sites de production de ces molécules, les zones d’utilisation, ainsi que les endroits où leur présence a été détectée dans l’environnement. Les PFAS seront repérés à proximité d’installations industrielles, de sites de traitement des déchets, dans les sédiments, les boues, les cours d’eau, et les nappes phréatiques. Leurs traces se dessineront près des agglomérations urbaines, près des villages, à proximité des aéroports et des bases militaires. Rien qu’en Europe, des milliers de sites contaminés seront mis en lumière, dont de nombreux sur le territoire belge (Figure 1a). Plus de deux cents sites révéleront, par ailleurs, des concentrations de PFAS dépassant les niveaux jugés dangereux par les experts. Aux États-Unis, plusieurs milliers de zones contaminées seront également identifiées, notamment aux abords des grandes villes telles que New York, Chicago, Los Angeles et San Francisco (Figure 1b). Les PFAS apparaitront donc comme des molécules « universelles », présentes à chaque recoin du globe. Au début des années 2000, ces composés de synthèse seront même détectés dans les coins les plus reculés de la planète, là où personne n’habite. On en retrouvera dans l’Arctique, piégés dans les glaces, et même …dans le corps des ours polaires.[2]

A l’automne 2023, en Wallonie, nul n’était donc censé ignorer la présence des PFAS sur le territoire. Ces molécules rôdaient toujours bel et bien, tels des ennemis invisibles.

Figure 1. Illustration des principaux points de contamination aux PFAS pour l’Europe (a, haut) et les États-Unis (b, bas). Figure 1a reproduite avec l’aimable autorisation du Forever Pollution Project. La carte interactive est accessible via le lien https://foreverpollution.eu/maps-and-data/maps/ © Le Monde / Forever Pollution Project. Figure 1b reproduite avec l’aimable autorisation du PFAS Project. La carte interactive est accessible via le lien https://pfasproject.com/pfas-sites-and-community-resources/ © PFAS Project Lab

PFAS : un acronyme unique pour désigner des milliers de molécules différentes

Derrière les quatre lettres  « PFAS » se cachent les Substances Per- et PolyFluoroAlkylées, des molécules non naturelles composées d’atomes de carbone, d’hydrogène, parfois d’oxygène, mais surtout d’une proportion significative d’atomes de fluor. Les PFAS[3] sont donc une gamme de molécules de synthèse fluorées.

Actuellement, les scientifiques ont répertorié plusieurs dizaines de milliers de PFAS différents. Ces molécules se distinguent par le nombre d’atomes de fluor qu’elles contiennent, par l’arrangement spécifique de leurs atomes, leur taille, entre autres  (Figure 2).[4] La classe des PFAS comporte ainsi des molécules simples, d’autres plus complexes, avec des propriétés parfois bien distinctes. On retrouve des PFAS avec des charges positives, d’autres avec des charges négatives, d’autres ne présentent aucune charge. Certaines molécules sont solides, d’autres sont des liquides et certaines de ces substances fluorées sont des gaz. Il existe des PFAS solubles dans l’eau, alors que d’autres ne le sont pas du tout. Certaines de ces molécules sont volatiles, d’autres pas. Dans l’environnement, quelques PFAS sont mobiles et d’autres immobiles, et certains s’accumulent dans les organismes vivants tandis que d’autres ne le font pas. A côté de ces dizaines de milliers de PFAS connus (et commercialisés), certains experts estiment qu’il pourrait exister des millions de dérivés théoriquement synthétisables, avec tout autant de caractéristiques spécifiques.[5]

Figure 2. Principales catégories de PFAS et exemples de molécules pour chaque catégorie. Figure reproduite de Environ. Sci. Technol. Lett. 2020, 7, 8, 532-543 (https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acs.estlett.0c00255) avec l’aimable autorisation de l’ACS. Avis aux lecteurs souhaitant réexploiter cette image : toute autorisation supplémentaire concernant le matériel extrait doit être adressée à l’ACS.

PFAS : à quoi sert ce si large éventail de substances fluorées ?

Les origines des PFAS remontent aux années 1930. En effet, c’est à partir de cette époque que la chimie du fluor a commencé à captiver l’attention des scientifiques. Les tout premiers PFAS synthétisés avaient des structures chimiques souvent assez simples. Pourtant, ces molécules ont rapidement révélé des propriétés uniques, jusque-là inégalées : elles possédaient la capacité de repousser l’eau, ce qui les a rapidement établies comme des composants essentiels des revêtements imperméables. [6]

Après la Seconde Guerre mondiale, la recherche sur la synthèse d’une gamme plus étendue de PFAS a donc été lancée et des structures plus complexes ont commencé à voir le jour. De nouvelles propriétés surprenantes ont aussi été mises en évidence. Certains PFAS résistaient aux très hautes températures et même aux flammes, certains étaient très stables chimiquement, d’autres repoussaient les huiles et les graisses. En toute logique, les PFAS ont donc été intégrés dans la fabrication de nombreux produits courants, aussi bien dans la vie quotidienne que dans l’industrie.

Ainsi, depuis des décennies, et même encore aujourd’hui, on retrouve des PFAS dans de nombreuses applications telles que les revêtements d’ustensiles de cuisine et de casseroles anti-adhésives, les agents imperméabilisants, les mousses pour éteindre les incendies, les cosmétiques, la production de composants électroniques, de médicaments, de fibres textiles, de matériaux d’emballage, et même dans les domaines des biotechnologies et de l’énergie (Figure 3).[7]

Figure 3. Illustration des principales applications des PFAS. Le document téléchargeable ici reprend les principaux PFAS utilisés, leur structure chimique, et tous les champs applicatifs par catégorie de molécules.

Bien qu’omniprésentes dans notre quotidien, les substances de type PFAS représentent aujourd’hui moins de 0,5% de l’offre en molécules issues du secteur chimique.[8] Ces PFAS sont encore actuellement produits par seulement 12 industries réparties un peu partout dans le monde, dont AGC, Arkema, Chemours (ancien DuPont), Daikin, 3M, Solvay, Dongyue, Archroma, Merck, Bayer, BASF et Honeywell.

PFAS : des molécules bien trop stables ?

Au sein de la structure moléculaire de chaque PFAS, on retrouve des liaisons étroites établies entre les atomes de fluor et ceux de carbone. Ces liaisons, classées parmi les plus résistantes en chimie, octroient aux PFAS une remarquable endurance face à des conditions externes variées. La robustesse singulière de ces liaisons entre le carbone et le fluor est également responsable de la persistance des PFAS, rendant ces composés peu enclins à une décomposition aisée dans l’environnement ou dans le corps humain. Le paradoxe réside donc bien là : la compétitivité inhérente des PFAS, l’un de leurs atouts majeurs, constitue simultanément la raison essentielle de leur actuelle problématique.

On estime qu’il faudrait plusieurs siècles pour que certaines molécules de type PFAS – et notamment celles produites avant les années 2000 – soient dégradées « naturellement » dans l’environnement. C’est cette longévité exceptionnelle qui leur vaut le sinistre qualificatif de « polluants éternels ». Certains craignent que ces molécules ne disparaissent jamais, continuant ainsi à s’accumuler indéfiniment dans l’environnement…

On a pourtant cherché à éliminer ces polluants éternels de l’environnement. De nombreuses techniques conventionnelles d’assainissement des sols, classiquement adaptées à d’autres classes de polluants organiques comme les hydrocarbures ou les molécules chlorées, se sont révélées peu efficaces.[9] Diverses recherches ont tenté d’utiliser des microorganismes pour décomposer les PFAS, mais des résultats décourageants ont été fréquemment rapportés, en particulier pour les deux espèces de PFAS les plus fréquemment signalées, le PFOA et le PFOS (PFOA est l’acronyme de l’acide perfluorooctanoïque, utilisé pendant longtemps pour la production de Teflon®, PFOS désigne l’acide perfluorooctanesulfonique longtemps utilisé pour imperméabiliser les tissus et pour traiter les papiers à contact alimentaire).

Concernant l’eau de distribution, certaines technologies éliminent efficacement les PFAS, en particulier le PFOS et le PFAO. Ces technologies englobent le recours à des membranes haute pression, l’usage de résines échangeuses d’ions, ou bien l’adsorption sur charbon actif. Ces techniques peuvent être employées dans les centres de traitement de l’eau potable, dans les systèmes d’eau des collectivités ou même dans les maisons. Une récente étude montre aussi l’efficacité des carafes filtrantes à charbon actif pour un usage à domicile, pour peu, du moins, que le filtre soit remplacé fréquemment.[10]

Pour les flux solides contaminés aux PFAS, par exemple dans le cas de déchets solides venant de l’industrie, l’incinération s’est quant à elle montrée relativement efficace.[11]

Des risques sur la santé humaine ?

Avant même que les effets toxiques des PFAS sur les vaches de Wilbur Tennant ne soit révélée, des études menées dès les années 1950 par les fabricants de PFAS eux-mêmes avaient déjà mis en lumière l’accumulation de ces substances dans le sang, laissant présager des risques potentiels pour la santé. Dans les années 1980, les principaux producteurs de PFAS avaient également établi un lien potentiel entre ces composés et le cancer, suite à l’observation de taux élevés de cancers déclarés parmi leurs propres travailleurs.[12]

L’utilisation massive des PFAS dans de larges applications a entrainé la propagation de ces substances dans divers compartiments de l’environnement tels que les rivières, le sol, l’air, la poussière domestique, les aliments, ainsi que dans l’eau potable provenant des eaux de surface et des eaux souterraines. Une étude de 2018 a ainsi mis en évidence que pratiquement tous les citoyens Américains présentaient des niveaux détectables de plusieurs PFAS dans leur sérum sanguin.[13] Des preuves de la présence de PFAS dans le lait maternel ont aussi été avancée depuis 2004 (Figure 4). [14]

Figure 4. Relevé chronologique des principales preuves d’exposition aux PFAS.

Des nombreuses études épidémiologiques ont aussi mis en évidence des relations entre des expositions à certains PFAS spécifiques et une gamme d’effets sur la santé, incluant notamment des maladies du foie, une altération des fonctions thyroïdiennes et immunes, des modifications des teneurs en insuline, des maladies des reins, et des cancers.[15] Le principal problème actuel est que ces effets ont été démontré pour quelques PFAS uniquement (souvent les plus anciens), et que des milliers d’autres substances (produites récemment) sont encore en circulation sans données de toxicité encore consolidées. Qui plus est, la question d’effets synergiques doit encore être débattue pour plusieurs PFAS au sein d’un mélange. Néanmoins, compte tenu des quelques informations déjà en possession des scientifiques, ceux-ci recommandent un degré approprié de précaution et l’apposition de limites dans les eaux de distribution et les aliments afin de protéger, à titre préventif, la santé humaine.

Sur base de ces éléments, les deux PFAS les plus courants et les plus « anciens », à savoir le PFAO et le PFOS ont été progressivement éliminés aux États-Unis sous la pression de l’Environmental Protection Agency. Ils ont également été classés parmi les polluants organiques persistants au titre de la Convention de Stockholm en raison de leur nature persistante, toxique et bioaccumulable.[16] Au niveau de l’Union Européenne, le PFOS est donc interdit sur base réglementaire, au même titre que le PFOA et ses précurseurs, y compris dans les produits fabriqués ou importés dans l’Union Européenne.[17]

Comment les PFAS se retrouvent dans notre corps ?

L’exposition professionnelle aux PFAS est bien établie, pas seulement pour les travailleurs des industries productrices de PFAS, mais aussi pour les pompiers qui utilisent des mousses d’extinction contenant des PFAS ou pour les installateurs de tapis et moquettes. Toutefois, le grand public, non exposé dans des conditions professionnelles aux PFAS, est loin d’être épargné.

Le grand public entre aussi en contact avec les PFAS de plusieurs manières, que ce soit par la consommation d’aliments contaminés tels que légumes, fruits, viandes, poissons et produits transformés, la consommation d’eau contenant des PFAS, ou encore par le contact main-bouche après avoir manipulé des produits intégrant des PFAS, comme les textiles et les emballages. Le transfert des PFAS depuis les emballages alimentaires jusqu’à l’aliment consommé constitue également une voie d’entrée de ces substances dans notre organisme. Des études multiples ont révélé que les PFAS ont la capacité de bioamplifier, ce qui signifie que leur concentration augmente à mesure qu’ils progressent dans la chaîne alimentaire. De plus, l’ingestion d’eau potable contaminée par les PFAS, y compris certaines eaux en bouteille, peut aussi représenter une source majeure d’absorption de ces substances par le corps (Figure 5).

Et ce n’est pas tout. Les PFAS peuvent aussi être présents à la fois dans l’air extérieur ou même dans l’air intérieur de nos habitations. Les émissions de fabrication sont une source potentielle de PFAS dans l’air extérieur, tandis que les vêtements, textiles et tapis traités avec ces substances peuvent entraîner des concentrations plus élevées de certains PFAS à l’intérieur. Jusqu’à présent, les études de toxicité visant à déterminer les niveaux d’inhalation de PFAS ne sont pas parvenues à établir une concentration valide garantissant l’absence d’effets indésirables résultant de cette exposition.

A l’inverse de l’ingestion, l’exposition cutanée est considérée comme étant moins significative par les experts en santé publique, à l’exception des travailleurs exposés de manière intensive aux PFAS.

Figure 5. Voies d’exposition (schématisées) du grand public aux PFAS (inhalation, ingestion et contact cutané).

De quelles concentrations parle-t-on exactement ?

On l’aura bien compris, les PFAS sont persistants, et les molécules détectées dans les eaux, les sols ou l’air sont parfois des fantômes du passé (c’est-à-dire des molécules dont la production et la commercialisation ont été interdites depuis des années). On l’aura bien compris aussi, parce qu’ils mobiles, les PFAS voyagent dans tous les compartiments de l’environnement et ne sont pas juste présents à proximité des usines de production. Ils se déplacent de l’eau vers le sol, du sol vers l’eau, de l’air vers le sol, du sol vers notre assiette.

La question qui subsiste encore est la suivante : quelle est la concentration des PFAS dans les différents compartiments de l’environnement ? La réponse est loin d’être triviale puisque, quand on parle de PFAS, on parle de milliers de molécules différentes, qui se comportent différemment dans l’environnement (certaines sont solubles dans l’eau, d’autres moins, certaines sont volatiles, d’autres pas), et qui engendre des effets différents sur les organismes vivants. Une réponse unique est donc pure utopie.

Une étude de 2020, qui avait pour but de déterminer la teneur moyenne en PFOS et PFAO dans les sols à travers le monde, a mis en évidence que, peu importe où on se trouve sur la planète, on détectait des PFAS. De la Chine aux Etats-Unis, ces deux PFAS les plus fréquents étaient retrouvés que ce soient dans les champs agricoles, les jardins et les parcs, les cours d’école ou sur les sites commerciaux et industriels.[18] Cette étude suggère ainsi que le sol est un réservoir important de PFAS. A côté du PFOS et du PFAO, des PFAS plus récents ont aussi été détectés mais de manière moins prédominante. Cette étude montre qu’en moyenne on détecte entre 30 et 100 mg de PFAS par kg de terre analysée (avec de fortes variations). Ces teneurs grimpent aux abords des usines de production, des centres de traitement de déchets, des bases militaires et des aéroports. Le même exercice réalisé sur les eaux souterraines et de surface en 2022 démontre l’omniprésence des PFAS dans les eaux.[19] Les PFAS ont été détectés dans toutes les régions du monde, y compris dans les pays où aucune usine de production de PFAS n’était établie. Les PFAS ont été détecté dans les eaux des pays africains en développement. On les a aussi retrouvé dans les zones très reculées somme les montagnes tibétaines ou dans les vastes océans Pacifique et Atlantique. Ces résultats confirment également la mobilité des PFAS et le rôle joué par le transport atmosphérique mondial à longue distance comme voie de propagation des PFAS. Cette étude met ainsi en évidence des teneurs maximum en PFAS dans les eaux européennes pouvant atteindre plusieurs centaines de nanogrammes par litre d’eau analysée (avec ici également de fortes variations entre les lieux d’analyse).

Vers une interdiction de production des PFAS ?

Si certains PFAS ne sont déjà plus produits, l’Europe se penche quant à elle sur une interdiction totale de production de tous les PFAS. L’Agence Européenne des Produits Chimiques a présenté en 2023 une proposition de restriction sur les PFAS menée par l’Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas et la Norvège. Si elle est acceptée, cette proposition serait la plus importante jamais adoptée puisqu’elle s’appliquerait à des milliers de molécules.

Il convient cependant de rappeler qu’en Europe, l’usage des PFAS est déjà réglementé et que ces molécules bénéficient d’une surveillance accrue. Pour les denrées alimentaires, l’Agence européenne de sécurité des aliments a établi un seuil de sécurité pour 4 PFAS (PFOS, PFOA, PFNA et PFHxS) à 4,4 ng/kg de poids corporel. Depuis janvier 2023 les seuils maximums de PFAS autorisés dans les aliments est soumis à une législation européenne spécifique (Figure 6).[20] 

Figure 6. Seuils autorisés maximums en PFAS dans certains aliments frais. Seuils totaux comprenant uniquement les PFOS, PFOA, PFNA et PFHxS.

Concernant l’eau à destination de la consommation humaine, la directive sur l’eau potable de 2020[21] (qui sera remaniée pour 2026) prévoit deux types de seuil soit à 0,1 μg/L pour la somme de 20 PFAS les plus courants soit 0,5 μg/L pour la totalité des substances per- et polyfluoroalkylées.

Pour de nombreux experts en santé publique, surveiller la qualité de l’eau et des aliments est une chose, mais prendre des actions concrètes pour limiter la production des PFAS et leur propagation doit aussi être une priorité absolue. A ce titre, les chercheurs se penchent aujourd’hui sur le design de molécules alternatives. Des résultats probants ont été mis en évidence notamment pour le secteur textile ou celui des matériaux [22]. Dans l’état actuel des connaissances, cependant, un remplacement imminent de tous les PFAS actuels par des alternatives moins persistantes reste toutefois utopique. Bien que les PFAS dans les produits de consommation pourraient être relativement faciles à remplacer, ceux utilisés dans les processus industriels peuvent être très complexes, nécessitant une réévaluation approfondie.

Un besoin d’une plus grande transparence ?

Les leçons à tirer des PFAS est que le manque de transparence et de communication vis-à-vis du grand public est la pire des démarches si on souhaite éradiquer le problème. Les PFAS sont connus depuis des décennies, ils sont omniprésents dans nos maisons et nos extérieurs, et aucun pays au monde n’échappe à leur présence. Leur présence est surveillée en permanence dans les eaux de distribution ou dans les aliments que nous consommons. Imposer des seuils minimise possiblement certains effets sur la santé, mais cela ne fera pas disparaitre les PFAS du paysage.

A ce titre, il apparait important de mentionner les points suivants:

1) Le monitoring des PFAS dans les eaux et les denrées alimentaires reste une priorité. Cela passe aussi par le développement de nouveaux outils analytiques permettant de détecter des PFAS toujours de plus en plus diversifiés et complexes à identifier.

2) Comprendre les effets toxicologiques des PFAS est une action à soutenir. Cela passe par une meilleure analyse des effets synergiques au sein d’un mélange, des modes d’action sur l’organisme, des effets générés par une exposition chronique par rapport aux effets produits par une exposition aiguë.

3) Il est important de continuer à soutenir les recherches visant à trouver des alternatives aux PFAS. La Wallonie s’intéresse énormément à la fin de vie des matériaux, à l’économie circulaire et au recyclage, mais elle devrait aussi réfléchir à mieux soutenir l’éco-conception jugée plus pertinente.

Vous souhaitez plus d’informations sur ce sujet ?

N’hésitez pas à me contacter via l’adresse email suivante: a.richel@uliege.be ou via le formulaire disponible en cliquant ici.

Références et commentaires

[1] Pour les cinéphiles, le film Dark Waters de Tood Haynes, sorti en 2020, retrace ce combat juridique, mené par l’avocat R. Bilott, au nom de 70.000 citoyens face à DuPont.

[2] https://therevelator.org/pfas-wildlife-health/

[3] Selon Le Robert, le mot PFAS se décline au masculin pluriel.

[4] https://www.niehs.nih.gov/health/topics/agents/pfc/index.cfm

[5] https://pubchem.ncbi.nlm.nih.gov/classification/#hid=120

[6] https://pubs.rsc.org/en/content/articlelanding/2020/em/d0em00291g

[7] https://www.rsc.org/suppdata/d0/em/d0em00291g/d0em00291g1.pdf

[8] https://www.epa.gov/system/files/documents/2021-09/multi-industry-pfas-study_preliminary-2021-report_508_2021.09.08.pdf

[9] Zhiming Zhang, Dibyendu Sarkar, Jayanta Kumar Biswas, Rupali Datta, Biodegradation of per- and polyfluoroalkyl substances (PFAS): A review, Bioresource Technology, Volume 344, Part B,

2022, 126223, https://doi.org/10.1016/j.biortech.2021.126223.

[10] Assessing the Effectiveness of Point-of-Use Residential Drinking Water Filters for Perfluoroalkyl Substances (PFASs), Herket et al. Environ. Sci. Technol. Lett. 2020, 7, 3, 178–184

[11] Tasha Stoiber, Sydney Evans, Olga V. Naidenko, Disposal of products and materials containing per- and polyfluoroalkyl substances (PFAS): A cyclical problem, Chemosphere, Volume 260, 2020, 127659

[12] Gaber N, Bero L, Woodruff TJ. The Devil they Knew: Chemical Documents Analysis of Industry Influence on PFAS Science. Ann Glob Health. 2023 Jun 1;89(1):37. doi: 10.5334/aogh.4013. PMID: 37273487; PMCID: PMC10237242.

[13] Katherine E. Pelch, Anna Reade, Taylor A.M. Wolffe, Carol F. Kwiatkowski, PFAS health effects database: Protocol for a systematic evidence map, Environment International, Volume 130, 2019, 104851, https://doi.org/10.1016/j.envint.2019.05.045.

[14] https://link.springer.com/content/pdf/10.1186/s12940-018-0405-y.pdf

[15] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7906952/#:~:text=Epidemiological%20studies%20have%20revealed%20associations,and%20developmental%20outcomes%2C%20and%20cancer.

[16] https://chm.pops.int/TheConvention/ThePOPs/TheNewPOPs/tabid/2511/Default.aspx#LiveContent%5BPFOS%5D

[17] https://www.oecd.org/chemicalsafety/portal-perfluorinated-chemicals/countryinformation/european-union.htm

[18] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7654437/

[19] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969721060812

[20] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32022H1431&qid=1661518707943

[21] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32020L2184

[22] https://www2.mst.dk/Udgiv/publications/2015/05/978-87-93352-16-2.pdf

Show Buttons
Hide Buttons